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  René Manzor

Les Âmes rivales

Interview

Propos recueillis par Citizenkane.fr et par Plume Libre (Mai 2012)

Parlons de vous avant tout René Manzor, vous qui avez une grande expérience dans le cinéma, à Hollywood, pourquoi avoir voulu écrire un roman ? Et, fort de votre succès aux Etats-Unis, pourquoi avoir voulu retenter votre chance en France, dans le cinéma d’abord puis dans la littérature ?

RM : J’avais besoin de rentrer chez moi. Mon départ aux Etats-Unis est un accident car je n’ai jamais eu le rêve américain. Je voulais juste exercer mon métier et j’avais du mal à monter mes films en France, même après le succès du « Passage ». Peut-être devrais-je dire surtout après le succès, car, en 1986, il ne faisait pas bon être catalogué « commercial ». Kathleen Kennedy, la productrice de Spielberg, a vu « 3615 Code Père Noël » à Cannes et m’a invité à Hollywood. Je pensais y rester 4 mois, j’y ai passé 10 ans.

Dans Les âmes rivales, ce qui marque le plus le lecteur, c’est le suspense, l’intrigue. L’envie de connaître la suite. Comment faites-vous pour trouver ces histoires, pour provoquer cette adrénaline ? S’il vous plaît René Manzor, donnez-nous votre secret (rires)

RM : Il n’y a pas de « secret » dans la façon d’opérer. Il y a juste un besoin viscéral de raconter. Et une technique d’écriture que j’ai apprivoisée au cours de ma pratique professionnelle en France et aux Etats-Unis. Cette technique me permet juste de structurer mes idées. Après cela, je me transporte au cœur de l’action que j’imagine et je me sers de mes cinq sens pour en rapporter le témoignage émotionnel le plus exact au lecteur. La vraie difficulté pour moi n’est pas d’effectuer ces « voyages », mais d’en trouver le temps dans un emploi du temps surchargé de réalisateur. Pour rédiger « Les Âmes rivales », en dehors des heures volées sur le sommeil, ce sont ma femme et mes enfants qui m’ont offert leur temps : deux ans de week-end, de soirées et de vacances...

Dès les premières pages du roman, on se dit qu’il pourrait faire un excellent film. Par certains côtés, le livre est comme un scénario. Pour vous, est-ce un compliment ou bien ressentez-vous malgré tout une difficulté à vous détacher de l’écriture cinématographique ?

RM : J’ai toujours écrit. Aussi loin que je me souvienne. Et mes écrits d’adolescent étaient avant tout romanesques. Si j’ai ressenti une difficulté, ça a été de me détacher de cette écriture-là en abordant le cinéma, plutôt que d’y revenir. Je me souviens qu’après avoir lu le scénario du “Passage”, Alain Delon m’avait dit : “J’ai beaucoup aimé votre roman”. Et il ne plaisantait qu’à moitié. Un film, c’est une suite d’écritures successives dont le scénario n’est que la première. Le tournage, la direction d’acteur, le montage, le mixage sont une suite de réécritures que l’on a remise à plus tard au moment de la conception du scénario. Quand on écrit un roman, on ne peut rien remettre à plus tard. Tout doit être dit. L’intrigue et les dialogues ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Les états d’âme des personnages, leurs pensées les plus intimes sont communiquées au lecteur. Quand on écrit pour la caméra, on se doit d’être objectif, sec, clinique, factuel. Quand on écrit pour le roman, le subjectif l’emporte.

Dans Les âmes rivales, on plonge dans l’Amérique de New York des années 80 et de la ville d’aujourd’hui. A Brooklyn et à Manhattan. Et aussi un peu en Louisiane. Est-ce votre Amérique ? Et tous les lieux décrits le sont-ils à la rue près ?

RM : C’est l’Amérique dont j’ai rêvé, cauchemardé même, avant de m’y rendre. Depuis tout petit, je fais ce même rêve récurrent de décors sans personnages : un Luna Park abandonné au bord d’une plage, un manoir victorien dévoré par des plantes grimpantes, un pont suspendu sous la neige. Je me suis longtemps demandé ce que ces « visions » attendaient de moi. Le plus incroyable demeure l’existence, dans le monde réel, des décors de mon rêve. Comme un adulte qui revient sur le théâtre de son enfance et qui retrouve tout à l’identique mais plus petit, je les ai arpentés. J’ai reconnu les odeurs de La Nouvelle-Orléans, découvert que mon pont suspendu sous la neige était le Brooklyn Bridge et que mon Luna Park en bord de plage était celui de Coney Island, abandonné car fermé pour l’hiver.

Parlons un peu de Jahal, l’Amérindien, le houma. L’esprit qui hante Cassandre et plus tard ... je ne voudrais pas révéler ce qui va se passer. Comment vous est venue cette idée de lier les esprits indiens du 17e siècle au monde d’aujourd’hui ? Êtes vous passionnés par ces Amérindiens ? Les retours sur Jahal m’ont parfois fait penser à Rouge Brésil, de Jean-Christophe Rufin, un prix Goncourt ... simple impression de lecteur ?

RM : Quand on évoque les esprits, on ne peut pas faire l’impasse sur les Amérindiens. Et le peuple Houma est l’un des plus méconnus et des plus cultivés que l’Homme blanc ait tenté d’erradiquer. Premiers habitants de la Louisiane, ils avaient une vie spirituelle particulièrement riche. Ils croyaient à la réincarnation et la mort n’était pas chez eux un sujet tabou. Il m’est difficile de parler de « Rouge Brésil » car j’avoue ne pas l’avoir lu. Mais il y a, entre toutes les Nations Indiennes, de nombreux points communs, à commencer par le sort qui leur a été réservé par l’arrivée des « dieux blancs ».

Dans Les âmes rivales, vous abordez la mort, mais surtout les esprits, la réincarnation. Des sujets qui vous passionnent. Et surtout, vos personnages se posent cette question entre eux et je voudrais vous la poser : et vous ? La réincarnation, les esprits, vous y croyez ?

RM : Dans “Les Âmes rivales” j’ai continué d’explorer mes thèmes de prédilection. Les thèmes de la mort, d’un au-delà dont on peut revenir, de la confrontation à l’inexplicable, sont présents dans presque tous mes films. Et ce roman ne fait pas exception à la règle. Mais ce qui m’intéresse surtout dans l’exercice romanesque est qu’il permet une exploration plus approfondie des personnages d’une histoire. De leurs émotions face à une intrigue qui les malmène et des choix qu’ils vont devoir faire, quitte à s’opposer à leur destin. "Les Âmes rivales" est un thriller surnaturel. Mais c’est aussi et surtout une histoire d’amour impossible qui pose la question de la survie des sentiments. Deux hommes s’y disputent l’amour de la même femme depuis la nuit des temps. L’un d’entre eux est un fantôme. Est-ce qu’une partie de nous nous survit après la mort ? Et, si oui, que devient-elle ? Conserve-t-elle la mémoire des sentiments qu’elle a éprouvés, ou doit-elle tout reprendre à zéro ? La réponse appartient à chacun, mais la question à tout le monde.

Aviez-vous déjà en tête les différents rebondissements de votre livre avant d’en entamer la rédaction ou vous êtes-vous laissé porter par l’histoire et/ou vos personnages ?

RM : Je ne crois pas à l’idée qui voudrait que l’inspiration soit une sorte de manne créative qui tomberait sur un auteur qui en serait le scribe. Il faut aller chercher l’inspiration au plus profond de soi, comme un mineur qui extrait un minerai précieux. Et dans cet exercice, il y a souvent plus de transpiration que d’inspiration. Il y a aussi des coups de grisou. On n’en sort pas indemne. On en sort le plus souvent bredouille. Il y a tous ces kilomètres que l’on fait en tournant autour de sa table de travail sans rien pouvoir écrire. Dehors, il fait beau. On est tenté de rompre son isolement stérile pour rejoindre les siens. C’est à ce moment-là qu’il faut replonger plus profond et sans bouteille. Comme un derviche tourneur qui cherche le vertige pour que la raison lâche et qu’il puisse enfin accéder à ses visions, l’auteur doit se transporter au cœur de l’action qu’il imagine.

En regardant les films sur lesquels vous avez travaillé et maintenant votre roman, on se rend compte que vous avez un faible pour le fantastique. Qu’est-ce qui vous attire dans cet univers ?

RM : La liberté qu’il offre à l’imaginaire. Mais je ne m’y sens à l’aise que si les amarres du « crédible » ne sont pas coupées. J’ai besoin que mes histoires se déroulent dans un monde bien réel, que le lecteur croie à cette réalité, qu’elle lui soit familière. J’ai besoin qu’il puisse se projeter facilement dans mes personnages de façon à être confronté comme eux à des événements qui le dépassent. Ce qui m’intéresse, dans le genre du thriller, ce sont ces moments où les personnages d’une histoire, en même temps que leurs lecteurs, sont obligés progressivement d’abandonner le cartésianisme qui les gouverne pour s’ouvrir à une autre façon de voir les choses, là où l’intuition et l’instinct sont plus utiles que la raison.

Si vous faisiez Les âmes rivales au cinéma, qui verriez-vous dans le rôle de Cassandre, de Matt et surtout de Thomas ?

RM : C’est à chaque lecteur de faire son casting. Quand on se sert uniquement de mots pour raconter, le lecteur est metteur-en-scène de l’histoire. C’est lui qui visualise. L’écrivain ne fait qu’exciter son imaginaire. De plus, pour moi, adapter les « Âmes rivales » au cinéma reviendrait à en faire le remake. Car j’ai ma propre lecture. Et j’ai vraiment l’impression d’avoir déjà filmé cette histoire avec mes mots.

Copyright © 2006 - René Manzor